Dès le début de la pandémie, un nouvel organe a été créé afin de donner les directives aux hôpitaux: le Comité Hospital & Transport Surge Capacity (CHTSC). L’organisation hospitalière applique ces directives, ce qui amène beaucoup de changements et nécessite une grande capacité d’adaptation de la part des équipes et des responsables hiérarchiques.
Un rapport du KCE (Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé) met en évidence dans ses messages clés «que les hôpitaux ont fourni des efforts très importants pour libérer et créer des capacités hospitalières, en particulier en soins intensifs, pour les patients COVID-19. La disponibilité et la motivation du personnel de soins (médical, infirmier, soignant, soutien, etc.) se sont avérées décisives à cet égard» .
Nous aborderons dans cet article une des difficultés majeures des hôpitaux: comment assurer la continuité des soins dans un contexte de «pénurie» infirmière et dans la mesure où les directives du CHTSC nous demandent d’augmenter notre capacité en lits de soins intensifs ?
D’autres problèmes ont été rencontrés comme les difficultés d’approvisionnement en matériel et médicaments, la gestion de l’agressivité, l’isolement des patients, la gestion des fins de vie, l’épuisement professionnel, la reconnaissance puis la non-reconnaissance des professionnels de la santé, les conséquences liées aux reports des soins… Ces points ne seront toutefois pas traités dans cet article.
Un rapport du KCE met en évidence dans ses messages clés «que les hôpitaux ont fourni des efforts très importants pour libérer et créer des capacités hospitalières»
Nous n’avons pas la prétention de donner des solutions, mais tout simplement de partager notre expérience et dégager des pistes d’amélioration pour l’avenir [Figure 1].
Premièrement, nous sommes dans un contexte de «pénurie» infirmière majorée par l’année blanche à la suite de la réforme de l’enseignement, mais aussi par un manque de reconnaissance et de vision positive de la profession véhiculé par nos politiques. La problématique est surtout la rétention infirmière qui s’est accentuée à la suite de la pandémie: diminutions de temps de travail, pauses carrière et réorientations professionnelles.
Ensuite, l’absentéisme du personnel a aggravé les besoins des unités de soins. Au CHU de Charleroi, l’absentéisme a été maîtrisé jusqu’à l’arrivée de la vague Omicron. Cette dernière a disséminé les équipes avec un taux d’absentéisme avoisinant les 40% dans certains services. Nous tenons à souligner que, lors de la première vague, le taux d’absentéisme n’avait jamais été aussi bas (proche des 0%).
De plus, le CHTSC a demandé aux hôpitaux d’augmenter la capacité de prise en charge intensive des patients COVID-19. Pour le CHU de Charleroi, en plus des 54 lits de soins intensifs difficilement ouvrables par manque de personnel infirmier, nous avons dû ouvrir des lits de soins intensifs supplémentaires en salle de réveil et en hospitalisation provisoire aux urgences.
La pierre d’achoppement n’était pas la structure (nombre de lits, locaux, matériel), mais bien l’encadrement en personnel infirmier qualifié.
Un(e) infirmier/ère n’est pas polyvalent(e) et ne peut pas être compétent(e) dans toutes les disciplines: soins intensifs et d’urgence, oncologie, pédiatrie et néonatalogie, gériatrie… C’est un élément essentiel qu’il faudra garder à l’esprit dans la recherche des solutions si nous voulons préserver une certaine qualité des soins et la sécurité des patients.
En plus de cette augmentation de capacité de prise en charge des patients COVID, la charge de travail générée par les soins dispensés aux patients COVID peut être multipliée par 3, voire 4. À titre d’exemple, pour les soins intensifs du CHU de Charleroi, en 2019 (hors pandémie), nous avons 93 journées ECMO (Extracorporeal membrane oxygenation) contre environ 700 journées en 2021.
Quatrièmement, la succession des vagues a engendré stress et épuisement professionnel. Les heures supplémentaires ont explosé. Le personnel est fatigué de devoir s’adapter en permanence à l’évolution de la pandémie et aux directives hospitalières. Ces multiples changements et le manque de perspectives à moyen/long terme sont source d’angoisse et de démotivation.
Enfin, dans certains secteurs et notamment aux soins intensifs, le personnel infirmier souffre d’une perte de sens du métier liée à la répétition des longues prises en charge stéréotypées des patients COVID. L’isolement architectural avec les équipements de protection individuelle et la rupture de lien social avec les familles accroissent cette perte de sens.
Le personnel est fatigué de devoir s’adapter en permanence à l’évolution de la pandémie et aux directives hospitalières
7 infirmiers/ères sur 10 en Belgique francophone sont à risque de burn out
Le plaisir dans le métier met la perfection dans le travail
Encadrement soignant
Les solutions à mettre en place vont s’articuler autour de deux axes: encadrement soignant et bien-être du personnel [Figure 2].
Concernant le premier axe, l’encadrement soignant, différentes mesures ont été nécessaires
Nous avons travaillé sur la différenciation de fonction et revu notre organisation en incluant davantage d'aides-soignants et de jobistes dans les équipes. L'objectif est de libérer l'infirmier/ère de toutes les tâches logistiques et administratives. Le financement via le fonds des blouses blanches nous a permis de réaliser ces recrutements.
La rationalisation de l'offre de soins a été primordiale et n'a pu être possible que par la diminution des durées moyennes de séjour, l'ambulatorisation des prises en charge et la fermeture de lits (cf. diminution, voire arrêt de l'activité élective non urgente). Nous avons ainsi réaffecté le personnel soignant en fonction de leurs compétences et des besoins.
La mobilité interne et l'esprit institutionnel sont les éléments clés pour faire face à cette pandémie. Des aides de toutes parts sont venues renforcer les équipes : infirmiers/ères anesthésistes, infirmiers/ères des consultations, de la dialyse, des hôpitaux de jour chirurgicaux, du réveil et de la salle d'opération... mais aussi les infirmiers/ères ressources (douleur, nutrition...).
La mobilité interne et l'esprit institutionnel sont les éléments clés pour faire face à cette pandémie. Des aides de toutes parts sont venues renforcer les équipes : infirmiers/ères anesthésistes, infirmiers/ères des consultations, de la dialyse, des hôpitaux de jour chirurgicaux, du réveil et de la salle d'opération... mais aussi les infirmiers/ères ressources (douleur, nutrition...).
Afin de préserver la disponibilité du personnel au sein des unités, nous avons stoppé toutes les formations et les réunions durant les vagues successives.
À certains moments, les prestations horaires du personnel ont dû être augmentées jusqu'à 12 heures par pause. Lors de la première vague, nous avions organisé le travail en cohorte (1 semaine de travail - 1 semaine de récupération + 1 équipe de réserve). Cette organisation nous a permis de préserver le personnel (absentéisme presque nul), mais n'a été possible que dans la mesure où l'hôpital ainsi que le pays étaient «à l'arrêt».
Une unité COVID mise à disposition de la province a été créée sur l'un de nos 4 sites (A. Vésale) grâce à la Défense.
En dehors des actions à mettre en place au sein même de l'Institution, les associations professionnelles œuvrent pour sensibiliser nos politiques à rendre la profession plus attractive avec une image plus positive de celle-ci. Au-delà des débats relatifs à la revalorisation salariale des infirmiers/ères, il est impératif de revoir les normes d'agrément et de financement du personnel afin de permettre des conditions de travail plus favorables.
Bien-être du personnel
Plusieurs études ont démontré que le bien-être du personnel a été mis à mal par des facteurs internes à l'hôpital (charge de travail, peur de la COVID...), mais aussi par des facteurs externes (absence de loisirs, isolement social...). D'après l'étude de la SIZ nursing en 2020, P. Smith et A. Bruyneel ont mis en évidence que «7 infirmiers/ères sur 10 en Belgique francophone sont à risque de burn out».
Néanmoins, nous avons essayé de préserver au maximum ce bien-être au sein de notre personnel par différentes initiatives :
soutien des équipes par la prise en charge individuelle ou collective de nos psychologues,
rencontres et encouragements des équipes sur le terrain par la Direction Générale et la Direction du département infirmier,
espace bien-être avec fauteuils massant, huiles essentielles et musiques douces,
sandwiches offerts à tout le personnel,
chèques-repas,
initiative ponctuelle: la Direction a offert déjeuners, glaces, frites, pâtes, crêpes...,
2 jours de congés supplémentaires pour l'année 2020,
...
Il est maintenant important pour les équipes de définir des objectifs et des projets de service afin de redonner du sens au travail et penser autre que «COVID». Dès que l'évolution épidémiologique le permettra, la priorité sera d'organiser des team buildings.
Le bien-être du personnel passe avant tout par des conditions de travail favorables et une bienveillance mutuelle entre les différents professionnels ainsi qu'avec la hiérarchie. Une communication claire et transparente est primordiale. À cet effet, une newsletter hebdomadaire est diffusée à l'ensemble du personnel.
Conclusions
En qualité de Directeur des Soins Hospitaliers, je suis fier des équipes qui m’entourent. Nous sommes conscients des efforts fournis et de l’impact que cette crise a eu et a encore sur le personnel de terrain.
Souvent hantés par un sentiment d’impuissance face à cette détresse, nous avons fait et faisons notre maximum pour soutenir nos professionnels de la santé, mais malheureusement ce n’est pas suffisant. Nous, y compris les autorités, devons prendre soin des professionnels de la santé pour qu’ils puissent prendre soin de nous.
La pandémie a mis en exergue les limites de notre système de soins de santé. Les hôpitaux ne peuvent pas travailler à flux tendu continuellement comme dans certaines entreprises. L’activité hospitalière ne peut pas être lissée et il faut accepter d’avoir des pics et des baisses d’activités. Une réforme profonde du secteur hospitalier est nécessaire et devra prendre en compte l’avis des différents experts (associations, KCE, études…).