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L'hôpital face aux défis climatiques

Un bel exemple de restauration de la biodiversité

Michelle Cooreman
Journaliste secteur de la santé
Pauline Modrie
Conseillère en développement durable CHU UCL Namur
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A ux Journées de l'Architecture en Santé, les 27 et 28 mars derniers à Bruxelles, Pauline Modrie, bioingénieure, conseillère en développement durable au CHU UCL Namur, a présenté un projet de biodiversité sur le site de Sainte-Élisabeth du CHU UCL Namur.

Quand on associe hôpital et développement durable, on cite souvent prioritairement la réduction des énergies fossiles afin de réduire les gaz à effet de serre. On ignore que la biodiversité est aussi un enjeu majeur pour la santé des patients. Le projet présenté a pour but de « créer un laboratoire d'expériences sur la question du lien santé-environnement sur le site même d'un hôpital urbain ».

Le dépassement du seuil

En 2009, des chercheurs ont publié pour la première fois neuf limites planétaires, le résultat d'une étude des processus naturels essentiels pour garantir une vie stable sur terre, processus qui sont impactés par notre activité humaine: le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, les modifications des utilisations des sols, l'utilisation d’eau douce, la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, l'acidification des océans, les aérosols atmosphériques, la diminution de la couche d’ozone, la pollution chimique (l'introduction de nouvelles substances, essentiellement de polluants chimiques dans les écosystèmes).

La limite planétaire la plus dépassée est l'érosion de la biodiversité. Il y a des liens entre les limites, par exemple le changement climatique va avoir un impact sur le changement dans la biodiversité. La plupart des limites ont été quantifiées et pour chacune d’elles, un seuil qui constitue un point de bascule a été identifié. Le dépassement du seuil va outrepasser l'état d'équilibre et les conditions de viabilité sur terre ne sont alors plus garanties. Heureusement pour nous, il y a toujours un moment d'adaptation.

Par exemple, au niveau du changement climatique auquel nous faisons face Malgré l’impact inévitable d’une augmentation de température sur les conditions de vie sur terre, il est possible de s'adapter à un changement de +2°C en prenant toute une série de mesures pour limiter cette augmentation de température. Mais après le point de bascule, ce ne sera plus possible et il faudra subir les conséquences dramatiques du dépassement de cette limite planétaire.

Une érosion fulgurante

La biodiversité désigne l'ensemble des êtres vivants ainsi que des écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leur milieu. Les bénéfices pour les humains se concrétisent au travers des services écosystémiques que la biodiversité nous rend : de régulation, socioculturels, soutien d'approvisionnement…

Grace à la biodiversité, nous avons accès à certains médicaments, à certains aliments, à la stabilité de notre système alimentaire, à l'efficacité de notre agriculture… pour n'en citer que quelques avantages. Ces services écosystémiques sont tirés de fonctions écologiques : la pollinisation, la prédation, la reproduction, la photosynthèse, les synthèses des molécules qui sont elles-mêmes fournies par les espèces.

Les services de régulation sont nombreux et aussi importants dans l'urbanisation: régularisation des inondations, contrôle des érosions, recyclage des déchets organiques, production d'oxygène, pollinisation, régulation des maladies, traitement des eaux usées, maintien de la fertilité des sols… Entre 1970 et 2007, la terre a perdu 39% de ces espèces et, en 2018, une estimation parle d'une perte d'environ 69% des invertébrés partout dans le monde.

La disparition normale des espèces oscille entre 0,1 et 1 espèce par million d'espèces et par an, mais aujourd'hui nous avons dépassé cette limite et nous perdons 100 espèces par million d’espèces et par an. Une érosion fulgurante et à tous les niveaux : par exemple, dans le monde, 75% de l'alimentation de la population mondiale provient de 12 espèces végétales cultivées et 5 espèces animales uniquement, ce qui fait s’interroger sur la stabilité et le risque de maladie de ces espèces et, par conséquent, sur l'alimentation mondiale.

On envisage de remplacer les petits gazons, souvent brûlés par le soleil (par exemple dans la rue qui mène à l'entrée), par des espèces de plantes favorisant la biodiversité, et pour les plus grands espaces de créer des zones fleuries demandant peu d'entretien. | Photos © CHU UCL Namur asbl

Quid de l'hôpital ?

50% des causes de l'érosion de la biodiversité serait lié à la destruction des habitats (par l'agriculture et les déforestations, mais aussi par l'urbanisation et le changement dans l'occupation des sols) et à la surexploitation des ressources. Autres causes: le changement climatique, la pollution de l'eau, de l'air et des sols, et les espèces envahissantes. On estime au total que 75% de l'espace terrestre a été altéré par l'homme.

« Dans notre stratégie de développement durable au CHU UCL Namur et plus globalement de notre responsabilité sociétale dans la décarbonation des soins de santé en 2050, nous avons décidé d'inclure dans les enjeux l'érosion de la biodiversité et des pollutions avec des études sur les rejets dans les eaux des micropolluants et, dans le projet qui nous concerne ici, la création de couloirs écologiques autour des infrastructures hospitalières tout en instaurant des lieux de sensibilisation au lien santé-environnement », explique la responsable du projet.

« Nous avons choisi l'hôpital le plus urbain dans notre groupe, le site de Sainte-Élisabeth, une structure en béton dans un environnement pas très vert, avec des rues assez polluées aux alentours. Le but de notre projet - soutenu par la Mutualité chrétienne - est d'agir sur les déterminants de la santé en renforçant le lien santé-environnement et le lien social. »

L'objectif est triple :

Augmenter la biodiversité autour du site de Sainte-Élisabeth ;

travailler avec une entreprise de travail adapté (l’Atelier Namur) pour augmenter les compétences au niveau biodiversité de ses travailleurs qui sont très actifs dans la région de Namur - les premières formations menées par «Nature In Progress» montrent qu'il y a un intérêt spécifique et une connexion à la nature qui peut être particulière chez des travailleurs porteurs de handicap ;

créer des liens sociaux en favorisant l'intergénérationnel et les contacts entre différentes couches sociales.

Trois étapes

En pratique, le but est d'aller vers un laboratoire d'expérience en trois étapes. La première, déjà en route, est l'aménagement sur le site de Sainte-Élisabeth. Les plantations sont faites mais doivent encore pousser. La deuxième étape n'a pas encore eu lieu: les travailleurs de l'entreprise de travail adapté, grâce à leurs nouvelles compétences déjà mises en œuvre sur le terrain, vont pouvoir proposer un projet d'aménagement du jardin de la pédiatrie qui renforce la biodiversité.

L'objectif pour 2023 est d'avoir un accompagnement pédagogique pour cette étape. Enfin, la troisième étape consistera à établir une collaboration avec une maison de repos qui va recevoir une enveloppe pour travailler à la biodiversité et collaborer avec les travailleurs de l'Atelier afin de permettre un réel ancrage pédagogique et pérenniser cette démarche.

apiculteur travaillant avec une ruche
vue en très gros plan d'une ruche d'abeilles
vue gros plan d'une ruche d'abeilles
apiculteur travaillant avec une ruche

En termes de sensibilisation au lien santé-environnement, il est intéressant d'inclure dans le projet une approche pédagogique avec le placement de ruches en toiture - tout en choisissant bien les espèces d'abeilles pour éviter la compétition avec d'autres types d'insectes. L'approche pédagogique avec des panneaux d'information permettra d'être un laboratoire d'expériences également pour l'entreprise de travail adapté et pour les faire augmenter en compétences à ce niveau. | Photos © CHU UCL Namur asbl

Les modifications en cours

En termes de sensibilisation au lien santé-environnement, il est intéressant d'inclure dans le projet une approche pédagogique avec le placement de ruches en toiture - tout en choisissant bien les espèces d'abeilles pour éviter la compétition avec d'autres types d'insectes.

Le point de départ du projet a été un audit de la biodiversité. Il a montré que le site de Sainte-Élisabeth est bâti avec un faible coefficient de biotopes par surface. Cependant, le potentiel de biodiversité y est énorme, principalement en raison de la présence de la Citadelle sur les hauteurs de Namur.

« Par exemple, dans le bac d'un charme à l'entrée de l'hôpital, nous avons retrouvé une espèce d'orchidée sauvage très rare en Belgique, probablement sur place grâce à des graines qui sont descendues de la Citadelle. Un autre élément est le faucon pèlerin qui est présent à la Citadelle et qu'on peut attirer par le placement de nids potentiels sur les façades du site afin de créer ce bagage écologique et renforcer la possibilité pour les espèces de subsister. Deuxième avantage, le faucon pèlerin est un bon prédateur des corneilles et des pigeons qui provoquent des dégâts en toiture. »

Pendant des années, l'esthétique a été privilégiée par rapport à la biodiversité, raison pour laquelle les types de végétation envahissante représentant peu d'intérêt au niveau de la biodiversité, souvent très allergisants, seront remplacés par des espèces plus indigènes. Tout autour de l'hôpital les « carrés oubliés » seront aménagés pour constituer un maillage écologique et faire le relais de toutes les espèces intéressantes retrouvées notamment sur la Citadelle. Certaines façades pourraient être végétalisées afin d'arriver à un beau visuel, et en même temps présenter un intérêt majeur pour les insectes.

On envisage de remplacer les petits gazons, souvent brûlés par le soleil (par exemple dans la rue qui mène à l'entrée), par des espèces de plantes favorisant la biodiversité, et pour les plus grands espaces de créer des zones fleuries demandant peu d'entretien. Dans les bacs à l'entrée de l'hôpital, des espèces indigènes au pouvoir médicinal sont prévues, comme l'if commun, utilisé dans la recherche pour la lutte contre le cancer.

À l'arrière de l'hôpital, la protection des marronniers est primordiale pour conserver un minimum de verdure dans cette zone industrielle. Cependant, aux pieds des arbres, les mousses peuvent être avantageusement remplacées par des espèces adaptées à cette zone ombragée, par exemple, la petite pervenche, l'anémone sylvie ou encore la ficaire fausse-renoncule.

Dans la cour intérieure fortement fréquentée par le personnel soignant, il est prévu de placer des bacs qui vont renforcer l'aspect végétal avec des plantes indigènes intéressantes pour la biodiversité.

En termes de sensibilisation au lien santé-environnement, il est intéressant d'inclure dans le projet une approche pédagogique avec le placement de ruches en toiture - tout en choisissant bien les espèces d'abeilles pour éviter la compétition avec d'autres types d'insectes. L'approche pédagogique avec des panneaux d'information permettra d'être un laboratoire d'expériences également pour l'entreprise de travail adapté et pour les faire augmenter en compétences à ce niveau.

Création d’espaces de sensibilisation santé-environnement

« L'érosion de la biodiversité n'est pas un fait anecdotique à l’échelle planétaire. C'est une limite qui est dépassée bien plus que toutes les autres. Travailler sur la décarbonation et le changement climatique est indispensable - il y a urgence à le faire -, mais arriver dans un monde à plus de degrés dans lequel on continue à faire disparaître les espèces (ce qu'on appelle la sixième extinction de masse*) n'est pas intéressant en termes de viabilité et de vie sur terre. »

« Créer des espaces de sensibilisation santé-environnement dans l'hôpital où il y a un flux important de patients et de visiteurs et ramener la biodiversité sur le lieu où on prend soin de sa santé est motivant aussi philosophiquement avec tous les cobénéfices que cela peut avoir (embellissement, entretien réduit, gestion des nuisibles, aspects socioculturels), » conclut Pauline Modrie.

* Nom donné habituellement à l'extinction massive et étendue des espèces durant l'époque contemporaine, toujours en cours.

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