Service des Soins Intensifs Hôpital Erasme (ULB)
Organisation des soins
Soins intensifs
Covid-19
P ersonne ne met en doute le fait que les soins intensifs ont été profondément affectés par la COVID-19. On retient surtout le surcroît de travail dans les unités de soins intensifs (USI) et les difficultés liées au maintien de la qualité des soins dans ces conditions extrêmes. Il y a, en fait, beaucoup d'aspects à discuter, qui seront résumés par les quatre P de Préparation, Progrès thérapeutiques, Personnalisation et Priorisation.
En réalité, notre système hospitalier a été bien adapté à cette brutale augmentation de pression. Les préparations avaient déjà été discutées en partie dans des plans catastrophe ou dans la préparation à certaines infections virales, en particulier pour l’épidémie à virus H1N1, sans que nous ne devions vraiment les appliquer à grande échelle. Nous avons étendu notre activité dans d’autres secteurs de l’hôpital, en transformant des lits d’unité coronaire, de soins post-anesthésie ou d’unités pédiatriques en lits d’USI.
La diminution du nombre d’interventions chirurgicales programmées a parfois permis de transformer des salles d’opération en USI. Nous avons aussi mieux équipé des salles d’hospitalisation ordinaires en unités «intermédiaires» permettant l’administration d’oxygène à haut débit ou l’application de systèmes de pression positive continue (CPAP). Certains pays ont étendu leurs lits en dehors de l’hôpital sous forme de tentes comme en France ou dans des stades comme en Chine, et, plus récemment, à Londres, jusqu'à la construction rapide de nouveaux hôpitaux en Chine et en Russie.
Des programmes de formation rapide « sur le tas » du personnel non qualifié ont promptement été organisés
il est toutefois indispensable de garder à l’esprit que la prise en charge de malades graves exige non seulement des lits mais aussi du matériel et du personnel soignant. Quel que soit le support financier, acheter des respirateurs s’est révélé problématique dans la mesure où les usines de production ne peuvent pas accroître rapidement leurs capacités de production. Des firmes non spécialisées, et en particulier les constructeurs automobiles comme Audi à Bruxelles et Mercedes au Royaume Uni, se sont lancées dans la production de systèmes de support respiratoire à l’attention de régions où le manque de matériel était le plus criant.
L’aide médicale et infirmière d’autres secteurs a été facilitée par la diminution d’activité dans certains autres services, bien que le personnel non formé soit évidemment d’une utilité réduite. Initialement, les personnes de renfort ont été juxtaposées au personnel existant, mais ce système est peu performant et peut conduire à des inégalités dans la qualité des soins. Le système a rapidement évolué vers une structure pyramidale, dans laquelle le médecin intensiviste supervise les médecins d’autres spécialités, de même que les infirmiers et infirmières des soins intensifs supervisent leurs collègues d’autres secteurs. Des programmes de formation rapide «sur le tas» du personnel non qualifié ont promptement été organisés. Nous avons notamment mis sur pied via la Société européenne de soins intensifs (ESICM) un programme de formation qui a bénéficié d’un budget européen substantiel.
Il était donc simpliste de proposer que les problèmes pouvaient être résolus par un plus grand nombre de lits: on aurait pu, par exemple, étendre les activités à d’autres surfaces disponibles comme l’hôpital militaire de NederOver-Heembeek, à condition d'avoir suffisamment de matériel et de personnel compétent.
Il a fallu aussi faire preuve d’imagination dans la communication avec les familles des patients hospitalisés dans un contexte où les visites à l’hôpital étaient - évidemment - limitées. L’achat rapide de tablettes a permis d’améliorer la communication avec les proches comme nous avons tous amélioré notre manière d’utiliser les programmes de réunion virtuelle Zoom, WebEx, Teams et autres.
Au fil du temps, des progrès substantiels dans la compréhension des anomalies physiopathologiques associées à la COVID-19 ont été réalisés. Nous avons notamment compris que les problèmes majeurs n’étaient pas seulement liés à l’altération de la fonction pulmonaire, mais étaient en fait la conséquence de l’atteinte de tous les organes, aboutissant à un sepsis viral dont la physiopathologie est liée à une altération de l’endothélium. Celle-ci entraîne en même temps des altérations de la coagulation menant à des thrombo-embolies généralisées. Ainsi, l’importance de l’anticoagulation par héparinothérapies a été reconnue.
Nous n'avons malheureusement pas fait plus de progrès dans les traitements spécifiques de la maladie. L’enthousiasme exagéré pour un médicament simple mais inefficace, l’hydroxychloroquine, a freiné l’étude d’autres stratégies thérapeutiques. Certes, nous avons pu attribuer une place à la corticothérapie (la dexaméthasone) et au tocilizumab dans les cas où l’inflammation est sévère. Il reste pourtant beaucoup d’autres stratégies à étudier
Heureusement, nous avons développé des plateformes multicentriques telles que RECOVERY, SOLIDARITY ou PEMAP-CAP, facilitant les études multicentriques. Ces plateformes resteront utiles à d’autres études à l’avenir.
Même si la COVID-19 représente une seule et même maladie, les réponses individuelles peuvent varier substantiellement d’un individu à l’autre et au cours du temps. Les cliniciens ont rapidement compris que les stades initiaux étaient susceptibles de bénéficier d’un traitement antiviral et, plus particulièrement, d’anticorps monoclonaux, alors que la phase plus tardive des malades graves doit porter davantage sur la réponse immunitaire du malade. De même, l’évocation d’une «tempête cytokinique» (cytokine storm) a été exagérée, mais des dosages de biomarqueurs se sont avérés utiles à caractériser l’état du malade.
Nous avons aussi appris à personnaliser les besoins d’intubation endotrachéale en tentant de postposer la ventilation mécanique invasive. L’utilisation de casques (helmet) a contribué à postposer, voire éviter, l’intubation endotrachéale.
Il n’y a jamais deux malades identiques pour un lit disponible
L’arrivée massive de malades a impliqué le besoin de décision rapide à propos du caractère adéquat de l’admission en USI – ce qu’on appelle de façon brutale le « tri » des malades.
Une phrase du type «L’USI est pleine, je ne peux plus rien faire» ne peut être acceptée. Le principe du «premier arrivé, premier servi» est inacceptable sur le plan éthique. Il faut parfois prendre la décision de faire sortir de l’unité un malade qui, soit peut être pris en charge dans un autre secteur hospitalier, soit se retrouve avec des chances trop faibles de pouvoir récupérer. L’arrêt des efforts thérapeutiques (les Français parlent parfois d’arrêt des soins, alors qu’on n’arrête jamais les soins) peut s'avérer nécessaire chez certains malades, mais ne peut malheureusement pas être appliqué dans certaines régions du globe, rendant la situation ingérable. Il en va de même du principe de loterie qui est inacceptable et simpliste, car il n’y a jamais deux malades identiques pour un lit disponible: les situations sont beaucoup plus complexes et impliquent un certain nombre de lits et un certain nombre de malades, si bien que les solutions possibles sont nombreuses.
De même, des techniques sophistiquées de support d’organes, comme l’oxygénateur à membrane (ECMO) pour les insuffisances respiratoires sévères, devaient être réservées aux malades qui pouvaient en retirer le plus de bénéfice. Dans certains cas, même l’application de support rénal extracorporel devait être limitée. Les implications de ces choix thérapeutiques ne se limitent pas au seul malade pouvant ou non bénéficier du support d’organes, mais touchent la collectivité avoisinante, dans la mesure où l’application de ces traitements exige une plus grande implication du personnel spécialisé, au détriment de la qualité des soins aux autres malades.
De telles limitations thérapeutiques sont déjà rencontrées en temps normal et ne sont qu’exacerbées lorsque les ressources sont plus limitées. Il serait donc simpliste et naïf de penser qu’il suffirait d’accroître les ressources pour éviter les problèmes. Le maintien de structures étendues de soins intensifs «au cas où» a non seulement des implications financières mais aussi des effets potentiellement pervers sur la qualité des soins, si le personnel ne maintient pas ses compétences. Tant que le système n’est pas dépassé, il existe en effet une relation directe entre le degré d’activité dans un secteur et la qualité des soins.
Nous avons appris beaucoup au cours de cette pandémie. Les progrès se sont traduits par de plus grandes chances de survie de patients COVID. Les changements réalisés dans les quatre P repris ci-dessus ont permis d’être mieux préparés pour l’avenir. Nous sommes très fiers de notre travail basé sur une expérience éprouvante, mais enrichissante. Le monde de l’après-COVID ne sera plus jamais comme avant !
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