Juridique Magazine #33 Octobre - Décembre 2021

Vaccination obligatoire pour le personnel soignant : à quoi peut-on s’attendre ?

Caroline van der Rest
Jean-Philippe Cordier
Photo Mat Napo | Unsplash.com

Juridique

Vaccination obligatoire pour le personnel soignant : à quoi peut-on s’attendre ?

Caroline van der Rest et Jean-Philippe Cordier
Avocats Younity
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Le 17 août dernier, le ministre fédéral Frank Vandenbroucke annonçait son intention de proposer la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour le personnel soignant et de santé. Le Gouvernement s’est ensuite prononcé lui aussi en faveur de celle-ci, et a mandaté le cabinet du ministre Vandenbroucke afin qu’il se penche sur la question. Le processus est donc en marche; l’avis de cinq partenaires sociaux, dont celui du Conseil National du Travail, a d’ailleurs déjà été sollicité. Un rapport devait être rendu mi-septembre. Cette annonce suscite évidemment une vague d’interrogations: quand cette mesure verrait-elle le jour? Qui viserait-elle? De quelles sanctions serait-elle assortie en cas de refus de vaccination? Pourrait-elle être élargie à d’autres secteurs que celui des soins de santé? Voici quelques réflexions en la matière.

Quand et comment?

Pour imposer cette obligation vaccinale, il serait préférable selon nous d’adopter une loi. Nous estimons que le recours à un arrêté royal ne serait pas la voie à privilégier. En effet, l’objectif sera de modifier un cadre légal existant, à savoir le Code du 28 avril 2017 relatif au bien-être au travail et la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail.

En théorie, ceci pourrait être le cas par le biais d’un simple arrêté royal. Seulement, l’obligation vaccinale constitue une restriction du droit à la libre disposition de son corps, qui est fondé sur le droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En Belgique, ce droit est également consacré par la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient, laquelle rappelle que toute intervention médicale requiert le consentement libre et éclairé du patient. Or, une restriction à cette liberté nécessite l’adoption d’une loi – au risque d’une annulation probable de l’arrêté par le Conseil d’État.

À cet égard, on note que c’est bien dans le Code relatif au bien-être au travail qu’il est question de l’obligation vaccinale pour certaines professions (art. VII.1-64 à VII.1-74). Le Code prévoit ainsi une vaccination obligatoire contre la tuberculose et un test tuberculinique obligatoire dans certaines entreprises, pour les travailleurs qui y effectuent certaines activités spécifiques. Une vaccination antitétanique et anti-hépatite B est également obligatoire dans certains cas.

On peut donc s’attendre à un long processus législatif, passant par l’avis des partenaires sociaux, la consultation des secteurs concernés, la rédaction d’un avantprojet de loi, qui passe lui-même par l’examen obligatoire du Conseil d’État ainsi qu’en commission, et enfin en séance plénière au Parlement. La nouvelle loi ne verrait donc probablement pas le jour avant plusieurs mois; sans doute pas avant décembre 2021.

Qui serait visé?

Cette question sera au centre des discussions des partenaires sociaux des secteurs et du législateur. À cet égard, le législateur devra trouver un juste équilibre entre les divers intérêts en cause – notamment entre les libertés individuelles précitées (e. a. la libre disposition de son corps) d’une part, et e droit à la santé et la vie d’autre part. La mesure doit évidemment être proportionnelle à l’objectif poursuivi. Dès lors que le personnel soignant se trouve en première ligne en termes d’exposition au virus et est en contact régulier avec des patients et des personnes plus vulnérables, c’est lui qui est initialement visé.

Lors de sa réunion du vendredi 20 août dernier, le Comité de concertation a confirmé qu’il envisageait d’imposer l’obligation vaccinale à l’ensemble des prestataires de soins – y compris les indépendants –, tant dans le secteur ambulatoire que dans les établissements de soins. On peut s’interroger, par exemple, sur la proportionnalité d’une obligation vaccinale du personnel administratif des hôpitaux dès lors que celui-ci est moins exposé au virus et moins en contact avec les patients.

Quelles sanctions en cas de refus ?

Cette question fera également grand débat. Là aussi, le législateur devra mettre en balance divers intérêts; tout d’abord, l’efficacité de la mesure (dans un but de santé publique), mais aussi le maintien de l’emploi dans le secteur des soins de santé. À cet égard, il importera notamment de ne pas aggraver la pénurie de soignants, ce qui serait contre-productif.

Il nous semble tout d’abord évident qu’un travailleur pourra légitimement refuser de se faire vacciner lorsque c’est contre-indiqué, par exemple pour des motifs médicaux avérés. Une telle exception («sauf contre-indication») est d’ailleurs déjà prévue dans les dispositions du Code relatif au bien-être au travail concernant la vaccination obligatoire pour certaines professions. Dans ce cas, ce refus légitime pourrait donner lieu à une suspension du contrat de travail (avec ou sans maintien de la rémunération), ou une éventuelle réaffectation du travailleur à d’autres tâches (par exemple, des tâches administratives n’impliquant pas un contact avec les patients).

Il nous semble également qu’un travailleur pouvant démontrer – sur la base d'un certificat médical – qu'il possède d’ores et déjà une immunité suffisante contre la COVID-19, doit légitimement pouvoir refuser lui aussi de se faire vacciner. Une telle exception figure également dans le Code relatif au bien-être au travail, en lien avec l’obligation vaccinale contre le tétanos et l’hépatite B.

Dans l’hypothèse où le refus du vaccin ne reposerait pas sur des motifs légitimes, la sanction pourrait-elle aller jusqu’au licenciement du travailleur concerné? Une telle sanction nous paraîtrait disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. À nouveau, l’employeur pourrait par exemple suspendre l’exécution du contrat de travail (avec ou sans rémunération), ou encore réaffecter (temporairement) le travailleur à d’autres tâches.

En revanche, l’employeur pourrait légitimement refuser selon nous d’engager un candidat souhaitant faire partie du personnel soignant, au motif que celui-ci refuse de se faire vacciner. À suivre…

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