Selon cette philosophie, il n'y a pas vraiment de différence dans la conception des bâtiments pour personnes âgées, pour personnes présentant des problèmes psychiatriques ou moteurs, ou des maisons d'accueil spécialisées pour enfants handicapés ou encore des centres de jour pour des jeunes présentant des déficiences visuelles ou auditives.
« Pour moi, le principe de conception de ces bâtiments est exactement le même. Dans tous les cas, il s'agit de créer des espaces qui soutiennent des soins. Contrairement à l'hôpital qui est une structure où on recherche la rapidité et l'efficacité, la maison de retraite, la maison d'accueil spécialisée ou l'hôpital psychiatrique sont prioritairement des lieux de vie. Il s'agit de créer des lieux sécurisés et sécurisants, des lieux d'hospitalité où les résidents sont en sécurité », explique l'architecte.
Enfin, certains chiffres montrent que les soins de santé en Belgique représentent jusqu’à 7,7% de l'empreinte carbone nationale. À l'échelle mondiale, la moyenne est de 4,4%, ce qui n'est pas négligeable. De plus, l'hôpital, exerçant un rôle de modèle dans la société, ce qui s’y passe est dès lors important pour les changements sociétaux. Il est généralement estimé que pour qu’un changement de société opère, il suffit de 5 à 10% de la population pour constituer le point de bascule. Pour toutes ces raisons, il est important de travailler au développement durable à l'hôpital .»
Des espaces de déambulation
Une étude est en cours pour un foyer de vie à l'Institut Saint-André à Cernay en Alsace. Trois ailes se greffent sur un axe structurant le bâtiment. Chaque aile correspond à une unité de vie au rez-dechaussée et à l'étage. « Le principe de conception de ces ailes se présente sous la forme de chambres s'ouvrant directement sur l'espace de déambulation qui, lui-même, est en communication directe avec un patio.
C'est un principe qu'on utilise régulièrement dans ce type de bâtiment qui permet une autre manière de circuler car l'espace de déambulation est non seulement en contact direct avec la nature - les résidents peuvent sortir dans un patio en pleine terre -, mais il est également totalement ouvert et transparent - la lumière naturelle baigne les espaces prévus pour la circulation. Les espaces communs sont contigus aux espaces de circulation, ce qui permet une déambulation continue des patients, l'espace devenant vraiment un partenaire du soin.
Il n'y a pas de circulation avec une porte au bout, mais au contraire, en déambulant, l'espace change à tout moment, ce qui crée une atmosphère assez calme et apaisante pour les personnes qui y résident. Comme l'ensemble est totalement vitré, le personnel soignant peut suivre la déambulation des personnes hébergées dans ces structures tout en restant dans la salle de soins. Cela facilite le fonctionnement de l'établissement et réduit le temps d'intervention et le temps de travail des soignants. »
Aux étages, le bâtiment s'ouvre visuellement sur le patio, mais les résidents ne peuvent forcément pas y accéder. Raison pour laquelle dans l'unité de vie de l'étage une serre a été créée permettant aux résidents de s'y promener, de faire du jardinage avec des bacs ou d'autres activités. Il a également été prévu d'y mettre quelques oiseaux en liberté et quelques petits animaux.
« Récemment, en visitant une unité Alzheimer et en discutant avec le personnel soignant, nous nous sommes rendu compte que le contact avec la nature ou les activités liées à la nature (par ex. éplucher des carottes, planter des fleurs…) renvoient les personnes atteintes d'Alzheimer à leur enfance. Des souvenirs reviennent et c’est très important pour elles.» L'espace créé par les architectes est fondamental dans des établissements de ce type car cela aide vraiment les personnes présentant des déficiences importantes, non pas à guérir mais à accompagner les soins, à les apaiser et à les mettre dans des endroits sécurisants et sécurisés.
Contrairement à l'hôpital, la maison de retraite, la maison d'accueil spécialisée ou l'hôpital psychiatrique sont prioritairement des lieux de vie
En déambulant l'espace change à tout moment, ce qui crée une atmosphère calme et apaisante pour les résidents (Institut Saint-André, Cernay). | Une étude pour un foyer de vie à l'Institut Saint-André à Cernay en Alsace où trois ailes se greffent sur un axe structurant le bâtiment. | Le principe de conception des ailes du foyer de vie de l'Institut Saint-André à Cernay se présente sous la forme de chambres s'ouvrant directement sur l'espace de déambulation qui, lui-même, est en communication directe avec un patio. | Photos © S&AA Patrick Schweitzer & Associés
Comme une chambre d'hôtel
À Erstein, petite commune près de Strasbourg, les architectes ont construit un bâtiment, à la fois hôpital psychiatrique classique et hôpital de gérontopsychiatrie, utilisant le même principe que celui décrit ci-dessus mais à plus grande échelle.
Le plan de masse est une espèce de trèfle à trois feuilles qui comprend des unités de vie se déroulant autour d'un jardin patio. Ce dernier permet aux patients de déambuler de manière circulaire. Il n'y a aucune aspérité, toutes les formes sont douces. Les résidents peuvent sortir, même s'il pleut car certains endroits sont abrités; ils peuvent y jardiner, il y a des arbres, des espaces en pleine terre.
« En discutant avec les médecins et le personnel infirmier, j'ai appris que pendant la pandémie de COVID19, il n'y a pas eu un seul cas de COVID dans l'établissement en raison de la fluidité de circulation et de la séparation très claire entre les espaces pour résidents et les espaces pour le personnel. »
« Toutes les chambres sont conçues plutôt sous la forme d'une chambre d'hôtel - on y intègre des matériaux tels du bois naturel, on fait des petites alcôves avec de grandes fenêtres qui s'ouvrent sur l'extérieur, ce qui permet aussi aux résidents d'avoir des espaces plus intimes (ou les autres ne rentrent pas) et qui restent sécurisants tout en ne faisant pas du tout hôpital, même s’ils sont équipés avec des fluides médicaux nécessaires dans ce type d'établissement.
C'est ce type de principe permettant des espaces très généreux, qui tout en favorisant les soins créent une atmosphère calme et évitent la notion d'enfermement qu'on trouve encore dans certains hôpitaux psychiatriques et maisons de repos. La conception de ces établissements a fortement évolué. Nous travaillons par exemple sur un projet dans lequel les chambres n'ont pas de salle de bain. Le directeur de l'hôpital a préféré garder la surface pour agrandir la chambre et les résidents de cet établissement doivent utiliser des salles de bain collectives qui sont spacieuses et équipées. Le personnel soignant y emmène les résidents et les ramène ensuite dans leur chambre. »
Le bois et la lumière zénithale rendent l'espace, dédié à la méditation ou au culte, de la maison de santé Bethel à Oberhausbergen, mystique et chaleureux. | Photos © S&AA Patrick Schweitzer & Associés
Un espace de contemplation
Le même principe de déambulation a été appliqué à Oberhausbergen pour une extension de la maison de retraite médicalisée EHPAD Amreso Bréthel. Le patient déambule autour du patio et traverse au centre l'espace commun, les espaces de vie, ce qui permet une déambulation continue.
« Dans le cas de ce projet, nous avons également reconstruit un bâtiment existant en supprimant une salle de culte contiguë à une salle polyvalente qui ainsi a été agrandie. J'ai proposé au maître d'ouvrage de créer un autre petit bâtiment au fond du parc. Ce bâtiment, tout en bois, est volontairement apaisant, neutre, calme, sans connotation religieuse, mais il peut être transformé pour un culte à tout moment. Le reste du temps, il fonctionne comme espace neutre pour la méditation, le yoga… ou simplement pour s'asseoir et rechercher son intériorité. Pour y arriver, nous avons travaillé avec une lumière rasante, une lumière qui vient du sol, de la terre, et une autre qui vient du haut, du ciel, qu'on voit par l'extérieur. »
Souvent, ce genre d’espace n'est pas programmé lors de la construction, mais il est important d'avoir un tel espace commun à l'ensemble des résidents pour qu'ils puissent s'y ressourcer mentalement, et pour certains y travailler leur mémoire et retrouver des souvenirs de leur enfance. Beaucoup de patients sont très heureux de cet espace, dixit le directeur, et l'utilisent régulièrement.
Le principe permet des espaces généreux qui tout en favorisant les soins créent une atmosphère calme et évitent la notion d'enfermement
Une architecture respectueuse
Ces quelques exemples montrent qu'en matière d'espaces l'architecture peut participer aux soins dans des lieux réservés aux personnes âgées et/ou dépendantes.
« L'architecture est fondamentale pour des personnes qui ont des problèmes de ce type, avec des fonctions physiques ou psychiques partiellement déficientes. C'est une architecture où l'humain devient prédominant, une architecture respectueuse de ces personnes avec leurs handicaps, c'est ce qu'on essaie de faire lorsqu'on conçoit des bâtiments de ce type », conclut Patrick Schweitzer.