Juridique Magazine #36 Juillet - Septembre 2022

Mobilité transfrontalière : la reconnaissance mutuelle des titres de formation

Caroline van der Rest
Jean-Philippe Cordier
Photo LNational Cancer Institute on Unsplash.com

Le défi de la reconnaissance mutuelle des titres de formation

Vers une plus grande mobilité transfrontalière des professionnels de santé

Caroline van der Rest
Avocate Younity
Jean-Philippe Cordier
Avocat Younity
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Afin de continuer ses tâches, l'hôpital est confronté à la nécessité d'évoluer vers une spécialisation plus poussée et une pluridisciplinarité plus étendue, allant de pair avec une professionnalisation internationale des soignants. Qu'en est-il de la reconnaissance mutuelle des qualifications afin que la sécurité des patients soit garantie? Nous passons en revue les défis et avancées en la matière.

C’est une évidence, le rôle de l’hôpital évolue vers une médecine toujours plus spécialisée et une pluridisciplinarité renforcée autour du patient. Les derniers changements législatifs vont clairement dans le sens de cette évolution, qui vise à concilier les objectifs de qualité des soins et d’équilibre budgétaire.

On pense typiquement à la mise en place de structures en réseau durables. Celles-ci doivent en principe permettre à chaque hôpital de se professionnaliser et d’optimiser ses ressources - tant en termes de personnel que d’équipement et de technologie.

Du progrès, oui, mais…

Cette tendance à la spécialisation et à la multidisciplinarité au sein de l’hôpital passe par davantage de mobilité internationale des professionnels de santé. Celle-ci est indispensable au regard de la pénurie de personnel et de maind’œuvre dans le secteur.

Si des progrès notables ont été réalisés à cet égard au cours de ces dernières années – particulièrement au sein de l’Union européenne (UE) –, la mobilité internationale des professionnels de santé représente encore un réel défi à ce jour. Il s’agit en effet de veiller à ce que cette mobilité internationale ne se fasse pas au détriment de la sécurité des patients, et la plupart des emplois du secteur des soins de santé exigent un diplôme spécifique.

Les règles relatives à la reconnaissance mutuelle – entre États – des qualifications professionnelles doivent donc être de nature à garantir la qualité des formations reçues par les professionnels de santé. Tel est le véritable défi.

Au sein de l’Union européenne, le législateur a sensiblement renforcé la sécurité juridique en la matière. C’est ainsi que la mobilité des professionnels de santé a pu devenir une réalité.

Néanmoins, on observe parfois une tension entre la théorie et la pratique, notamment compte tenu des conditions de mise en œuvre des principes de reconnaissance mutuelle des qualifications et de la remise en cause des conditions particulières d'exercice au sein de chaque État membre.

La Directive européenne

Pour favoriser la mobilité au sein du marché intérieur de l’UE, le législateur européen a tenté d'harmoniser les conditions de qualification nécessaires à l'exercice de certaines professions réglementées au sein des États membres et ce, au moyen de la Directive 2005/36/C du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. [1]

Cette Directive [2] s’applique à tous les ressortissants (ou assimilés) de l’UE, des autres pays de l’Espace économique européen (EEE) (regroupant les États membres de l’UE ainsi que l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège) et de la Suisse souhaitant exercer une profession réglementée – en tant qu’indépendants ou salariés – dans un pays autre que celui où ils ont acquis leurs qualifications professionnelles.

Pour un nombre limité de professions visées par la Directive – dont celles d’infirmier/infirmière, kinésithérapeute et pharmacien/ pharmacienne –, celle-ci prévoit désormais la possibilité pour le professionnel de prouver ses qualifications professionnelles via une carte professionnelle européenne (EPC).

Cet outil entend rendre la reconnaissance des qualifications professionnelles plus aisée et rapide en faisant effectuer diverses démarches de la procédure par l’État membre d’origine. L’ECP n’est toutefois pas obligatoire pour prouver ses qualifications professionnelles.

Une reconnaissance automatique

Pour certaines professions réglementées, la Directive prévoit par ailleurs un système de reconnaissance automatique des titres de formation. Ce système repose sur une harmonisation des conditions minimales de formation entre les États membres.

C'est dans le secteur de la santé que l'harmonisation a été la plus rapide. Parmi les sept professions visées, six relèvent en effet de ce secteur: il s’agit des professions de médecin, infirmier/infirmière responsable de soins généraux, praticien/praticienne de l’art dentaire, vétérinaire, sage-femme et pharmacien/ pharmacienne.

La Directive prévoit par exemple que, dans tous les États membres, la formation médicale de base comprend au total au moins 6 années d'études ou 5.500 heures d'enseignement théorique et pratique dispensées dans une université ou sous la surveillance d'une université.

Ainsi, tout médecin diplômé dans un pays de l’EEE ou en Suisse peut désormais faire reconnaître son diplôme en tant qu’équivalent au diplôme belge de médecin. Le traitement de cette demande d’équivalence dure en moyenne 3 à 4 mois, selon la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Lorsque ce médecin obtient la reconnaissance de son diplôme par la Communauté compétente, le SPF Santé Publique lui envoie automatiquement son visa lui permettant d’exercer la profession[3]. Il/Elle devra ensuite remplir les formalités d'inscription auprès de l'Ordre des médecins.

L’attestation de conformité

Dans la pratique, la reconnaissance n’est pas toujours aussi automatique qu’elle devrait l’être. Certaines difficultés peuvent surgir notamment lorsque le titre de formation n’est pas cité à l’Annexe V de la Directive (reprenant expressément une liste des titres de formation dont la reconnaissance doit être automatique car ces formations satisfont aux conditions minimales).

Un médecin ayant suivi une spécialisation particulière dans son État d’origine, non reprise à l’Annexe V en question, ne bénéficiera pas de la reconnaissance automatique de ce titre. Il devra présenter une attestation de conformité établie par les autorités compétentes de l’État d’origine, et devra justifier qu’il/elle remplit les conditions minimales de formation théorique et pratique prévues par la Directive.

En cas de doute justifié, l’État membre d’accueil peut par ailleurs exiger des autorités compétentes de l’État membre d’origine une confirmation de l’authenticité du diplôme, ainsi que la confirmation du fait que le bénéficiaire a rempli toutes les conditions minimales de formation prévues par la Directive. Malgré qu’il reste donc certains obstacles au libre exercice d’une profession de santé dans un autre État membre, on ne peut que louer les avancées faites en la matière ces dernières années.

Selon une récente analyse menée par RH Acerta[4], la part de travailleurs étrangers dans les soins de santé en Belgique a grimpé de 33% au cours des 7 dernières années - des chiffres tout à fait encourageants.

[1] (JO 2005, L 255, p. 22), telle que modifiée par la Directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 354, p. 132).

[2] Transposée en droit belge par la loi du 12 février 2008 instaurant un nouveau cadre pour la reconnaissance des qualifications professionnelles UE (M.B. 2 avril 2008, Errat., M.B., 9 avril 2008 (deuxième éd.)), telle que modifiée par une loi du 25 décembre 2016 (M.B. 31 janvier 2017) ainsi qu’un décret du 12 juillet 2017 (M.B. 12 septembre 2017).

[3] Le visa est une attestation prouvant qu’on est autorisé(e) à exercer la profession (ou une partie de celle-ci). Il s’agit donc d’une autorisation à pratiquer («licence to practice»). Elle est indispensable pour pouvoir travailler.

[4] Article publié le 12 mai 2022 sur http://www.acerta.be.

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