Professionnalisation de l'hôpital Magazine #37 Octobre - Décembre 2022

La pharmacie hospitalière

Sylvie Demaret
Stéfanie Quennery
Photo LNational Cancer Institute on Unsplash.com

La pharmacie hospitalière : un service et une fonction essentielle le de l’hôpital à mieux connaître

Sylvie Demaret
Directrice du Département Pharmacie des Cliniques Saint-Luc de Bouge
Présidente de l'Association Francophone des Pharmaciens Hospitaliers de Belgique (AFPHB)
Stéfanie Quennery
Pharmacienne hospitalière aux Cliniques universitaires Saint-Luc, UCL-Bruxelles
Vice-présidente de l'AFPHB
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En septembre 2020, un arrêté royal relatif à la pharmacie hospitalière a été publié, donnant un « coup de jeune » à la réglementation, jusque-là en vigueur, datant de 1885. Cependant, le paysage hospitalier étant soumis à de fortes évolutions, les pharmaciens/pharmaciennes hospitaliers/ hospitalières n’ont pas attendu la publication de ce nouvel arrêté royal pour faire évoluer leur métier et leurs actions au sein de l’hôpital afin de participer à l’amélioration continue de la qualité des soins.

Dans le cadre de la crise COVID, les compétences des pharmaciens/pharmaciennes hospitaliers/hospitalières concernant la gestion des médicaments et des dispositifs médicaux ont été reconnues et mises à l’honneur par les autorités de santé publique et les responsables politiques.

Des compétences spécifiques

Le/La pharmacien/pharmacienne hospitalier/hospitalière est responsable de l’approvisionnement de produits pharmaceutiques parfois complexes, en les achetant ou en les produisant, et contribue à un usage sûr, efficient et rationnel des médicaments au sens large.

Sous ce vocable de « médicaments » sont repris les spécialités pharmaceutiques, les produits pharmaceutiques courants, les produits diététiques enregistrés, le matériel médico-chirurgical stérile, les dispositifs médicaux, y compris les implantables, les produits relatifs aux essais cliniques, les préparations magistrales, les radiopharmaceutiques, les antiseptiques et désinfectants, les échantillons médicaux.

La reconnaissance du titre particulier de pharmacien/pharmacienne hospitalier/hospitalière en 2003 et l’introduction de l’agrément (AR 11/06/2003) ont mis en lumière les compétences spécifiques du/ de la pharmacien/pharmacienne dans le secteur hospitalier.

Le programme de formation universitaire a été réformé en 2010 et 2013 pour arriver à une formation de 3 années au cours de laquelle le/la pharmacien/pharmacienne candidat/candidate spécialiste se forme dans tous les secteurs de la pharmacie hospitalière.

Cependant, l’accès à la formation limité par un concours de sélection (avec un quota de maximum 60 candidats/ candidates spécialistes par an) et la majoration des tâches au cours des 10 dernières années participent à la pénurie actuelle de pharmaciens/pharmaciennes hospitaliers/ hospitalières.

Cette pénurie, qui peut générer des répercussions sur la qualité et la sécurité des soins pharmaceutiques, ne doit pas être négligée par le pouvoir politique. Le SPF Santé Publique devrait trouver des pistes pour augmenter, de manière transitoire, ce quota de 50% pour répondre à la demande actuelle.

Gérer les produits pharmaceutiques

Les activités du/de la pharmacien/ pharmacienne hospitalier/hospitalière se sont, au cours du temps, élargies.

En juillet 2013, la législation concernant les marchés publics oblige les pharmaciens/pharmaciennes à acheter les produits pharmaceutiques en respectant les règles des marchés publics européens, avec de nouvelles procédures à mettre en place, générant une lourdeur administrative importante.

La législation concernant les essais cliniques, quant à elle, a été revue en 2017 (AR 9.10.2017) et introduit, notamment, la notion de normes PIC/S dans un document rédigé par le Pharmaceutical Inspection Co-operation Scheme pour arriver à l’implémentation de standards GMP dans le domaine des produits pharmaceutiques.

Cette obligation s’étend à l’ensemble des préparations stériles depuis la publication de l’AR de 2020. Cela implique que de nombreux hôpitaux devront revoir leurs locaux de préparation et leurs procédures.

Les réseaux hospitaliers commencent donc à s’organiser pour mutualiser certaines ressources. Une législation claire en la matière est attendue afin de définir les possibilités de mutualisation. Il ne faut pas perdre de vue, lors de ces discussions, que l’accès aux produits pharmaceutiques ne doit pas être compromis.

L’optimisation de la sécurité, de l’efficience et de la traçabilité du circuit du médicament est une préoccupation majeure des pharmaciens/pharmaciennes et est inscrite dans l’AR du 30.09.2020 portant sur la préparation et la délivrance des médicaments et l’utilisation et la distribution des dispositifs médicaux dans les établissements de soins.

Le/La pharmacien/pharmacienne est impliqué(e) dans le circuit des dispositifs médicaux, notamment dans la sélection des fournisseurs, l’achat, le suivi de la délivrance, la traçabilité et la facturation patient à titre de fournisseur d’implants. De nombreuses innovations dans ce domaine comme les implants sur mesure, les implants modulaires, les impressions 3D, requièrent une attention encore plus particulière.

Les différents organismes d’accréditation ont également repris dans leurs systèmes d’évaluation, une série de normes concernant le circuit du médicament. Les pharmaciens/pharmaciennes ont dès lors étés intégré(e)s dans les équipes œuvrant autour des certifications, afin de partager leurs compétences et mettre en place, en collaboration avec les équipes soignantes, les procédures et process requis.

Pour faire face à tous ces défis, de nombreuses initiatives sont prises dans les hôpitaux en termes d’automatisation et de nouvelles technologies.

Que ce soit pour optimiser la gestion des stocks, la délivrance nominative, ou encore en matière de production, ces robots permettent de réaliser une traçabilité complète du circuit qui ne peut se faire manuellement.

Il est nécessaire de définir une stratégie adaptée à chaque contexte hospitalier et d’obtenir l’adhésion des autres partenaires du circuit du médicament (médecins, infirmiers/infirmières, etc.). Ce sont des projets complexes à mettre en œuvre et qui nécessitent le soutien du management.

Depuis septembre 2019, les pharmaciens/pharmaciennes doivent respecter les dispositions légales relatives au Falsified Medicines Directive (FMD). Dans ce contexte, la gestion automatisée du stock permet une prise en charge efficiente du décommissionnement des médicaments et le retour sur investissement est rapide

La production centralisée de médicaments stériles, qu’ils soient nominatifs (cytostatiques, nutrition parentérale, antibiotiques…) ou sous forme de préparations hospitalières est également un pilier des activités de la pharmacie hospitalière. Ces activités nécessitent de l’expertise, des locaux adaptés (normes PIC/S, zones d’atmosphère contrôlée…) et des procédures strictes à respecter. Des traitements de plus en plus complexes doivent être pris en charge par les pharmaciens/pharmaciennes (CART Cells, vecteurs, etc), y compris les préparations de radiopharmaceutiques.

Le domaine de la stérilisation est également dans le champ d’action du/de la pharmacien/pharmacienne puisqu'il est sous sa responsabilité (AR du 20.09.2020).

robot recherche technique

Les robots permettent de réaliser une traçabilité complète du circuit qui ne peut se faire manuellement. | Photos Unsplash.com

L’optimisation de la sécurité, de l’efficience et de la traçabilité du circuit du médicament est une préoccupation majeure des pharmaciens et pharmaciennes

Une base de données nationale médicamenteuse reprenant les informations de base disponibles dans la SAM, les interactions médicamenteuses, les doses maximales… est attendue par tous les pharmaciens et pharmaciennes

Ses partenaires

L’optimisation du bon usage du médicament passe par différentes actions multidisciplinaires.

La qualité de la prescription et de l’administration des médicaments peut être soutenue par un système de prescription électronique optimal. Le/La pharmacien/ pharmacienne participe activement au paramétrage des médicaments et à l’optimisation du système d’aide à la décision. Ces actions supportent les professionnels de santé et profitent à l’ensemble des patients.

D’autre part, les collaborations avec les pharmaciens/ pharmaciennes cliniciens/cliniciennes permettent d’optimiser la prise en charge médicamenteuse du patient pendant l’hospitalisation via la réconciliation médicamenteuse, la revue de traitement, les recommandations d’administration et l’information des patients, principalement concernant leurs traitements de sortie.

La transmission des informations relatives aux médicaments avec la première ligne est un sujet à l’ordre du jour des discussions avec les différents partenaires. Le système VIDIS (Virtual Integrated Drug Information System), initié par l’INAMI, devrait faciliter cet échange d’informations, mais il y a encore des obstacles liés, notamment, au manque d’interopérabilité des différents systèmes.

Une base de données nationale médicamenteuse reprenant, outres les informations de base disponibles dans la SAM (Source Authentique des Médicaments), des données de type interactions médicamenteuses, doses maximales, doses en cas d’insuffisance rénale… est attendue par tous les pharmaciens/pharmaciennes.

L’ambulatorisation des soins implique de nouvelles missions pour le/la pharmacien/pharmacienne hospitalier/hospitalière qui délivre des traitements antibiotiques intraveineux, certaines chimiothérapies ou de la nutrition parentérale pour des hospitalisations à domicile (HAD).

Les médicaments à délivrance exclusive hospitalière sont en constante augmentation ces dernières années (chimiothérapies orales, médicaments pour la procréation médicalement assistée, biologiques, médicaments orphelins, etc.). Des guichets pour les patients se sont donc ouverts aux portes de la pharmacie intra-hospitalière afin de pouvoir les accueillir dans un espace propice à la délivrance et au conseil.

Des outils didactiques sont proposés aux patients afin d’obtenir un maximum d’adhérence au traitement. Une valorisation de ces actes de délivrance de traitements complexes et exclusivement délivrés à l’hôpital devrait être envisagée par les politiques afin que les hôpitaux puissent assumer la charge en personnel que représentent ces activités et y affecter les ressources matérielles et architecturales nécessaires.

Un rôle important, mais ingrat

L’élargissement des responsabilités et les tâches additionnelles imputées aux pharmaciens/pharmaciennes n’ont pas été assortis d’une révision des normes (AR du 4.03.1991). Il est indispensable que les politiques se penchent sur cet aspect afin de permettre aux pharmaciens/pharmaciennes d’assurer l’ensemble des missions qui leur sont confiées au profit du patient.

La pharmacie hospitalière est une discipline en pleine expansion, qui fait face à de nombreux défis. Les démarches qualité, essentielles à l’amélioration continue de la qualité des soins, doivent viser à optimiser la sécurité, l’efficience et la traçabilité. Le/La pharmacien/ pharmacienne a un rôle important à jouer, en collaboration étroite avec les autres professionnels de santé et le patient.

Les responsabilités financières de la Pharmacie hospitalière représentent 15 à 20% des entrées et sorties d’une institution hospitalière. Le/La pharmacien/pharmacienne hospitalier/hospitalière y joue un rôle parfois ingrat de «contrôleur». Il/Elle est effectivement garant(e) de la bonne facturation, de l’utilisation dans les indications enregistrées, de la réponse aux critères de remboursement et du suivi de toutes les clauses d’accord des médicaments et dispositifs médicaux enregistrés sur des plateformes électroniques.

Dans toutes ces tâches, la numérisation et les liens system to system tardent à s’opérationnaliser, rendant ce travail très complexe et chronophage.

En résumé

La pharmacie hospitalière a déjà relevé plusieurs défis et elle continuera à le faire. C’est un maillon important des soins de santé. Elle participa au développement des projets IN et OUT et transmuraux de l’hôpital. Elle mise sur les nouvelles technologies et doit anticiper le futur en s’impliquant dans la numérisation de processus et dans une robotisation permettant de répondre qualitativement aux attentes des patients, des professionnels de santé et des requis légaux.

Les pharmaciens/pharmaciennes hospitaliers/hospitalières sont proportionnellement peu nombreux/nombreuses par rapport aux autres professions du secteur hospitalier. Leur voix est parfois couverte par le bruit ambiant du microcosme hospitalier, il faudra prendre garde à ne pas faire la sourde oreille à leurs besoins au risque de vivre la désertion de cette profession.

Malgré les lourdes responsabilités légales et financières, la place du/ de la pharmacien/pharmacienne hospitalier/hospitalière au sein de la Direction de l’institution est souvent sous-évaluée. Les défis sont nombreux, l’intégration des nouvelles technologies est primordiale. La pharmacie hospitalière est un élément essentiel de la collaboration multidisciplinaire au sein des institutions de soins. Le challenge est important, en gardant en mémoire que le patient est au centre de nos préoccupations.

• Loi du 16.06.2006 relative aux marchés publics
• AR du 9.10.2017 relatif aux études cliniques • Circulaire 644 AFPMS concernant le FMD
• AR du 20.09.2020 relatif à la préparation et la délivrance des médicaments et l’utilisation et la distribution des dispositifs médicaux dans les établissements de soins
• Hecq JD, Byule F: Pharmacie hospitalière en Belgique: 65 ans d’histoire. Journal de pharmacie de Belgique 2018; 100: 6-10

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